Bitcoin et l’Oncle Sam
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8 months ago

Francis Pouliot
Francis Pouliot

CEO

Bitcoin et l’Oncle Sam

Il est facile de critiquer les entreprises Bitcoin qui se retirent des États-Unis depuis le confort de son canapé.

Je ne prétends pas savoir pourquoi Acinq, Wallet of Satoshi, Wasabi Wallet (et bien d'autres) ont décidé de bloquer les utilisateurs américains, mais voici ma perspective personnelle en tant qu'entrepreneur Bitcoin non américain.

Si le fait de créer des modèles de transactions de manière non-custodial pour les utilisateurs et de percevoir des frais pour ce service peut être considéré comme de la transmission de fonds ou une activité commerciale de services monétaires aux États-Unis, comme le prétend l'inculpation de Samourai Wallet, il n'est pas absurde d'imaginer qu’en agissant en tant que LSP (Lightning Service Provider), ou en effectuant des "loop-outs", qui constituent en réalité un échange de BTC pour Lightning, pour vos utilisateurs, vous puissiez être considérés comme une société de transfert de fonds.

Plus alarmant encore, dans une récente opposition à une motion dans l'affaire Tornado Cash, le gouvernement américain tente de réfuter l'idée que la garde des fonds, ou le "contrôle" des fonds, constitue un critère nécessaire pour la qualification d’un service en tant que société de transfert de fonds. Selon cette acception, les personnes qui opèrent, développent et financent des logiciels facilitant les transactions Bitcoin, même sans contrôle sur les fonds, pourraient être systématiquement considérées comme engagées dans la transmission de fonds.

"Le défendeur soutient que le sens ordinaire des mots 'accepter' et 'transmettre' nécessite que l'entreprise contrôle les fonds. Toutefois, comme pour le mot 'transférer', les définitions de ces mots ne nécessitent pas l'interprétation restrictive préconisée par le défendeur".

Plus loin, le procureur tente d'interpréter l'intention du Congrès américain :

"Si le Congrès avait voulu que le contrôle des fonds soit une exigence, il l'aurait indiqué clairement dans le texte de la loi" et "Le Congrès n'a sûrement pas voulu que la loi soit si facilement contournée, ce qui explique probablement pourquoi le Congrès n'a pas inclus le mot 'contrôle' dans la loi en premier lieu".

Extraits de l’opposition du USG à la motion de ROMAN STORM

Cette logique douteuse conduit à une pente glissante dangereuse pour notre industrie, puisqu’elle invite à considérer également les pools de minage, les portefeuilles Bitcoin non-custodiaux, ou même des nœuds Bitcoin... comme des sociétés de transfert de fonds. A partir d’une interprétation aussi large de ce qui constitue la transmission de fonds, presque tout logiciel impliqué dans la création, le relai, ou le minage de transactions Bitcoin serait qualifié de transmetteur de fonds.

Je pense personnellement que ces interprétations sont exagérées, juridiquement instables, et il est incertain qu'elles tiennent devant un tribunal. Cependant, les faits demeurent : Roman Storm a été arrêté et libéré sous caution, tandis que William Lonegan Hill, alias T-Dev, le développeur de Samourai, est en prison.

Si le Bitcoin, c’est de la monnaie ou un substitut de monnaie, ce qui ne fait aucun doute, alors les portefeuilles custodiaux et les fournisseurs de services de garde seront presque certainement considérés comme des sociétés de transfert de fonds aux États-Unis, dans la mesure où ils permettent à leurs utilisateurs de faire des dépôts et effectuent des retraits pour leur compte.

D’aucuns dans l'écosystème Bitcoin font valoir qu'un fournisseur de services Bitcoin ne pourrait être considéré comme une société de transfert de fonds parce que le Bitcoin n'est "pas de la monnaie" mais plutôt une " forme d’expression", du "logiciel".

Cet argument est, pardonnez l’expression, d’une imbécilité rare. Bien sûr que Bitcoin c’est de la monnaie. Même si, dans de nombreux pays, Bitcoin n'est pas légalement reconnu comme tel par les diverses institutions gouvernementales, quiconque doté d’un minimum de bon sens doit reconnaître qu'il est utilisé comme tel en pratique. Les gouvernements qui rechignent à considérer le Bitcoin comme de la monnaie pour des raisons politiques le classent simplement comme un actif virtuel qui agit comme un équivalent/substitut monétaire et incluent les entreprises Bitcoin dans les mêmes cadres réglementaires qui encadrent les entreprises de services monétaires, ou alors créent de nouveaux cadres pour les fournisseurs d'actifs virtuels, généralement similaires et souvent pires que ceux couvrant la transmission de monnaie fiduciaire.

Nous sommes en 2024. Il s’agirait de dépasser ces tentatives naïves de redéfinition de Bitcoin et de la monnaie visant à endormir les régulateurs.

Face à ces évènements, une réaction naturelle pourrait être : « nous devons résister, tenir bon et lutter ». C'est une position très noble et je soutiens quiconque l’adopte. Pour les entreprises américaines, il est tout à fait logique de prendre cette position, car quoi qu'il en soit, elles sont déjà sous la juridiction américaine et à moins qu'elles ne prévoient de partir, elles n’ont pas vraiment d’autre choix que de résister et de lutter.

Mais pour une entreprise étrangère, pourquoi prendre le risque ? Certes, en se retirant des USA, vous perdez l'accès au plus grand marché mondial, mais ne pas le faire pourrait signifier la fin de votre entreprise et vous voir passer quelques décennies en prison.

Un fournisseur de services Bitcoin non américain pourrait se demander... Ais-je enfreint la loi américaine et vais-je passer une décennie dans une prison fédérale entouré de meurtriers et de violeurs ? Je suppose que je le découvrirai lors de mes prochaines vacances en famille à Disney World à Orlando !

Du point de vue d'une personne non américaine, il semble que vous puissiez être arrêté sans préavis et conduit à devoir défendre votre cas devant un tribunal, si vous avez le malheur de vous retrouver involontairement en état de "non-conformité", simplement parce que vos avocats ont naïvement supposé que le terme "transmission" dans le contexte de la réglementation financière faisait référence à l'échange d'argent plutôt qu'à la diffusion de la chaleur à travers une poêle à frire.

Je pense que les Américains sont habitués à voir des gens arrêtés pour des subtilités techniques et jetés en prison pour de longues périodes. Mais dans le reste du monde, c'est assez rare. Pour un entrepreneur Bitcoin non américain, les États-Unis sont un endroit effrayant et dangereux. Les autorités américaines semblent compétentes, motivées et prêtes à détruire votre vie juste pour prouver quelque chose. Il ne s’agit-là ni de paranoïa, ni de lâcheté.

Si vous n'êtes pas une entreprise basée aux États-Unis, vous avez de meilleures chances d'avoir un impact significatif sur la vie de milliards de personnes et de faire avancer la cause du Bitcoin à l'échelle mondiale en ne sollicitant pas de clients américains. Et même si vous ne sollicitez de clients américains, ni n'opérez pas aux États-Unis, qui sait quel traité international obscur imposé par les États-Unis vous pourriez violer accidentellement. Mieux vaut rester prudent, couper les liens avec les clients américains publiquement et démontrer que vous prenez des mesures pour empêcher les clients américains d'accéder à votre service.

Personnellement, si j'avais le moindre doute quant au fait que le gouvernement américain me considère comme opérant une entreprise de services monétaires non autorisée aux États-Unis, je ne mettrais pas les pieds aux États-Unis de peur d'être détenu dès le passage des douanes.

Rendre une application Bitcoin disponible sur l'App Store dans un certain pays peut facilement être interprété comme une sollicitation de clients dans ce pays. Bien que cela puisse paraître absurde, retirer votre application des App Stores américains envoie un signal clair qu'il n'y a pas de sollicitation de clients américains.

Les utilisateurs américains de Bitcoin devraient également s'attendre à d'autres mesures restreignant leur accès aux services Bitcoin basés à l'étranger, comme l'interdiction des adresses IP et des numéros de téléphone basés aux États-Unis. Je ne serais pas surpris si à un certain stade, des entreprises sans-KYC décidaient d’identifier leurs clients, même quand ce n'est pas légalement mandaté dans leur juridiction, justement pour éviter de servir accidentellement des clients américains.

On peut arguer que les problèmes auxquels sont confrontés les citoyens américains en raison de l’ingérence excessive de leur gouvernement deviendront inévitablement notre problème à tous. En effet, de nombreux gouvernements à travers le monde imitent les États-Unis, et la plupart des organisations internationales sont fortement influencées par les diplomates et les politiques américaines.

Les entreprises et les citoyens américains engagés dans Bitcoin devraient tenir tête à leur gouvernement. Ils n'ont rien à perdre et tout à gagner. Les Bitcoiners du monde entier devraient d’ailleurs les soutenir de toutes les manières possibles.

Abandonner le marché américain n'est pas seulement la meilleure stratégie pour une entreprise non-américaine confrontée à de tels risques et incertitudes, mais c'est aussi un coup de sommation envoyé aux consommateurs américains, devenus un peu trop complaisants dans leur croyance que leur pays serait toujours « The Land of the free, home of the brave ».

Dans un tweet antérieur, j'ai dit que "les Américains sont trop toxiques". Pour être clair, j'aime les Américains et l'Amérique. J'adore la culture de la liberté et du capitalisme, et l'esprit américain. Mais la réalité est qu'en traitant avec des clients américains, vous vous exposez à la toxicité radioactive des agences à trois lettres.

La thèse de l'individu souverain se joue devant nous: à l'ère numérique, les entrepreneurs iront là où ils sont le mieux traités.

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